Excellence, assassine (poème)

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Peinture de Louis Calaferte (Première de couverture de Septentrion)

Au dernier moment, il s’avère que je me suis laissé (facilement, j’dois dire) convaincre de participer à un évènement, qui impliquait un concours de Slam/poésie. Ma première question à cet égard fut, hormis ce « ah bon ?! » d’étonnement typique : y a-t-il un thème imposé ? Si oui, quel est-il ? Questions qui se vêtirent d’un jargon plus familier je vous l’accorde ! Je m’y voyais déjà, jouant la facilité, non sans remords, en ressortant de mes écrins d’papier un vieux texte écrit lors d’mes beaux jours : tiens, pourquoi pas le dernier en date, j’en suis satisfait : Puzzle.
« Oui, il y a un thème, c’est L’excellence », me précise-t-on. Voilà que je blêmis.  Je ne vous cache pas que l’exercice du thème imposé m’est supplice. J’ai fui nombreux ateliers et autres concours pour cette frêle raison qui se trouve être pour moi un grand désarroi.. parfois, car n’exagérons rien. J’ai longtemps cru et crois encore que je ne possède pas ces talents vifs de création et d’inspiration nécessaires pour m’y atteler. Qu’à cela ne tienne ! Le premier surpris : l’heure d’après, dans une fièvre étrange, je plongeai dans les méandres de mes pensées, le regard non pas vide mais bien plutôt blotti à l’intérieur de moi-même. Ce regard qui se métamorphose alors en un œil interne et impalpable, et qui, par sa violence et sa bienveillance (me concernant), permet à l’esprit de regarder le monde dans son ensemble et ainsi de dialoguer avec lui, et soi. Le soir même, voilà que sur le papier j’avais ma première ébauche, fier d’avoir opté pour la surprise, le contre-pied de ce que ce thème pouvait laisser sous-entendre communément : comme à mon habitude, l’esprit critique face à mon époque, me voilà méfiant, prenant du recul face à ce terme qui n’a pas le même sens selon le milieu social d’où s’ouvrent et se referment les bouches; ce vocable de puissance qui me laissait comme un goût de ciguë dans la bouche : L’excellence. Et dans ma tête résonnait comme une alarme ce proverbe galvaudé « le mieux est l’ennemi du bien ». Puis je pensais à l’actualité, à l’idéologie, à la politique, à la pauvreté, au chômage, aux discours médiatiques et à toutes les frasques de ces figures qui parlent à ma place… mais pas seulement, je pensais aussi à l’art, la littérature, à Calaferte… et à écrire. Le lendemain, je sculptais cette ébauche pour en faire jaillir un texte, un poème, une pensée, comme bon vous semble. Seul le challenge m’importait finalement. Le voici.

« La réalisation, la réussite, la fonction sociale et même l’argent n’ont plus de sens pour moi aujourd’hui – ou disons qu’ils en ont un tout différent. Je danse sur un autre pied. »

Louis Calaferte – Septentrion

I

L’automne sonne, la douceur du soir comme un présent m’est offerte
Désertes sont les rues d’la ville rouée par les jours ahuris
Le spleen qui se rue m’effraie, je traîne béat et pense à Calaferte
Qui pétrit la langueur et fait naître l’aurore en un violent Satori *
J’ai l’esprit dans mes livres, je me sens vivre avec cet « L »
Au loin j’aperçois une ombre, Éden ou bien idylle mais qui est-elle ?

Sur le grand boulevard des mots bavardant dans tous les sens
J’ai croisé du regard une femme envoûtante de sa fragrance
Épris d’ma bonhomie, je lui souris, elle, non sans assurance
Se déhanche et m’apostrophe « hep mon joli ! viens voir Excellence ! »
Brut chant de sirène, la peau nue et le maquillage amassé
Je peux voir ses courbes et sur son bras ses plaies violacées
Malgré ses spasmes et son teint terne elle se plaie à l’éloquence
Pour me vendre un rêve bien moderne qui n’est pas sans conséquences.

Elle dit :
Sois le premier à me saisir, je suis une passe vers la noblesse
Et moi :
Je crains ce terme qui à mes yeux manque cruellement d’sagesse
Puis elle :
Balivernes ! Ne t’échines point aux vains efforts de médisance
Viens plutôt délier ma langue dans nos ébats si épuisants
Tu ne peux résister à la folie des émois de mon omniprésence !

Et moi, lui dis-je, je lutte contre cette langue des puissants !
S’améliorer est une belle chose, ça je te le concède
Mais toi tu prônes l’excès et excepte, voilà ce qui m’excède
Et tu infliges l’injustice des ecchymoses, je sais c’qu’elle nécessite
Serait-ce dans tes jupons que l’homme perdu trouvera l’entraide ?
Puis elle me coupe : mais tais-toi dont je t’offre la réussite !
Moi virulent : ainsi tu mens pour vendre ta présente camelote
Puis tu ordonnes aux pauvres de s’éprendre alors qu’ils sanglotent
En avant la performance ! toujours plus ! pour satisfaire ton orgasme
Feignant de ne voir qu’ici-bas les gens se noient dans ton horrible marasme !

Mais peu importe tant que l’on gravit les étages des gratte-ciels
Pas vrai ? Et qu’à un certain âge l’on nage dans les paradis artificiels
Le songe devient cauchemar lorsque le lambda se frotte à votre monde
Et qu’il éponge les dettes et les angoisses puis les tristesses qui abondent
Parfois de désespoir il se vend salement en quête de success story
Et promeut la chronophage médiocrité qui justifie la culture secret story
Apprendre à perdre ou à gagner, quelle posture est en odeur de sainteté ?
Les mots droiture et vérité s’éviscèrent, plus personne s’en indigne
Car on a rien sans rien : orgueil et sacrifice émanent de vos buildings !
La drogue de l’American dream brûle et ne brûle pas que nos rétines
Mais détruit Terre et Mer, j’entends déjà l’insulte « démagogie »
La mère monnaie donne la tétine, ainsi du vice elle fait l’apologie.

Entre opium et cocaïne tu te manifestes, vénale Excellence
Qui assassine Baudelaire pour dresser le loup de Wall street
Enragé de n’pouvoir encore mordre l’air, puisque la terre il effrite
Il se gausse telle une hyène, et se vautre dans l’opulence
Monnayer la mort, même ça il est en fier, sa religion est cynique
Et des échos mondialisants, ses prêches se muent en belle musique
Résonne même « Excellence ! » sur les frontons d’nos livides universités
Quand moi je pleure Socrate et Van Gogh, suicidés pour leur avide curiosité !
Cela dès la naissance, car chaque institution est une subtile tyrannie
Qui apprend aux enfants que le méchant loup est un honnête travailleur
Que de Maupassant et d’sa poésie il faut garder la morale du Bel-Ami
« Le monde est ainsi ! ». Art et vivre libre est un jargon qui vient d’ailleurs !

Tu enfantes de bons petits soldats, en leurs veines le sang de l’Éssec
Qui se mêle à l’ADN et ne modèle que les matérielles richesses
Au point de faire du prolétaire plus qu’un bourgeois en échec
Alors éloigne ton jeu d’séductrice, au diable tes belles promesses !
Je vois le monde dont tu es l’instigatrice et qui tète en ton sein
Il n’est pour moi que le père contraint à éduquer de tristes assassins !

II

Tes mots sont si féroces, qu’en ton âme gueule la bête humaine
Lorsque tu parles de l’éros, mon corps dégueule des acouphènes
Afin de m’affranchir du pouvoir de ton langage symbolique
Je délie ma langue, en homme de l’être je me crée mon lexique
Et d’excellence je n’ai que les excès des élans de mon cœur
Qui cultivent un jardin à part, aux fruits des exceptions
Dont leurs saveurs m’affament et aiguisent ma perception
Je flotte dans l’art de m’égarer, de l’Autre je n’ai plus peur

De solitaire à solidaire, il n’y a qu’une lettre qui change
En alchimiste de verbe, je forge mon œuvre dans le mélange
Pour composer ma musique, je tire de l’or de ce que l’ère dénigre
Et creuse un sillon où je m’élève en compagnie de Zénon Ligre
Je lis, je ris, je vis puis je sors ma plume de son fourreau
Et je dessine les mains qui tremblent les traits de nos bourreaux
Toi regarde le ciel ensuite plonge ton regard au fond d’mes yeux
Ne vois-tu pas qu’entre les étoiles et mes iris brûle ce même feu !

Ce n’est pas ton corps qui m’enivre, mais l’échanson terrestre
Qui de son geste me sert l’ivresse d’où la beauté se délivre
Je pose mon regard lubrique sur ce monde sensuel d’où s’exhale
L’essence des sensations qu’on ne connaît qu’en étant ivre
Allant de ratés en ratés afin de progresser à l’horizontal
Les grands d’ce monde et leur belle excellence ne m’impressionnent pas
Moi je poétise la pousse d’une fleur banale et tout ce qu’elle me donna
Pour partager avec vous cette chaleur intime qui dans mon cœur tonna.

Excellence, tu es d’un vide si lourd et sidéral
Et moi je danse, danse sur un autre pied. Pied d’Homme Bancal. Et Vivant.

Minoze.

* Satori
Terme du bouddhisme zen qui désigne l’éveil spirituel. La signification littérale du mot est « compréhension ».

5 réflexions sur “Excellence, assassine (poème)

  1. Wow et Bravo!

    Bravo pour ce «saut» pour un événement de slam/poésie. Souvent -et malheureusement- on impose un thème lors de ces événements. Je suis également tenté par le recyclage de mes textes quand je peux. Je suis d’un naturel paresseux, ce qui ne semble pas être ton cas!
    Lu par moi-même, pour moi-même, dans mon salon, ton texte est magnifique. Je ne peux qu’imaginer la force et l’émotion qu’il en ressortira lorsqu’il sera lu dans une salle bondée de gens prêt à t’applaudir.D’où le wow.
    J’ai pas encore fais ce saut, mais j’adore assister à de tels événements. Je te souhaite bonne chance pour cette première et … au plaisir d’en entendre parler!

    • Merci !
      Encore une fois je reste profondément touché et flatté ! Et quelle surprise toujours de voir à quel point un texte peut investir la vie d’un individu au point de se l’approprier avec sa voix, sa façon de lire et d’interpréter le texte. J’trouve ça vraiment magnifique.

      Le recyclage n’est pas un vice et a toujours existé même chez les grands auteurs ! Alors finalement n’ayons pas de remord à faire preuve d’une certaine écologie.
      Puis détrompe-toi, si je n’écris pas autant que je le voudrais c’est bien à cause de la paresse ! Je côtoie ce vice oui, très attirant qui plus est ! Ah ! Mais, la paresse est un bon vice, de ne rien faire, n’avoir envie de ne rien faire est parfois salutaire et peut même réveiller l’inspiration ! J’aime parler de l’art de l’oisiveté

      Merci pour toute ta bienveillance !
      Mais je n’ai malheureusement pas eu la [mal]chance de lire mon texte. La lecture était le privilège des lauréats, ce qui n’a pas été mon cas. Mais cela m’empêchera pas de continuer à écrire. Puis à travers ce texte, critiquant l’excellence contemporaine, je déterre subtilement la beauté de l’échec, il y a une formule que j’admire beaucoup : la noblesse de l’échec.

    • Mais c’est toujours un plaisir !

      Et figure-toi que cela fait 2 ? 3 jours ? non 2, que j’essaie de me trouver du temps pour commenter tes deux fabuleux derniers billets, en particulier « Tout désapprendre pour tout réapprendre » ! Mais pour que mon commentaire soit un tant soit peu à la hauteur de ce que j’ai pu lire et ce que j’ai pu ressentir il me fallait un peu plus que 3 min par ci, ou 2 min par là.

      • Merci merci Clément, mais ne te tracasse pas pour tes mots (même si je les adore et les attends avec impatience !), je sens ta présence et je me délecte de tes textes, nous résonnons ensemble ! Il n’y a pas de hauteur dans le cœur, n’est-ce pas ?
        Tes mots me rassurent il est vrai, nous avons tant besoin de cette nourriture.
        Une belle nuit à toi, à nous tous « frères de cœur » !

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